
Le mouvement GenZ 212, né dans les rues marocaines et amplifié sur les réseaux sociaux, franchit désormais les frontières. Ce qui n’était au départ qu’un cri de révolte intérieure s’est transformé en une mobilisation mondiale portée par la jeunesse marocaine installée à l’étranger. De Paris à Montréal, de Bruxelles à Berlin, des centaines de Marocains de la diaspora se rassemblent pour soutenir leurs compatriotes et rappeler que la douleur du pays ne s’arrête pas aux portes du royaume.
Samedi 5 octobre, plusieurs dizaines de Marocains se sont réunis devant le consulat général du Maroc à Montréal, au Canada, marquant la première grande manifestation organisée hors du pays depuis le début du mouvement. D’autres rassemblements sont annoncés pour le 11 octobre à Berlin, Bruxelles et dans plusieurs villes des États-Unis. En France, la mobilisation a déjà pris forme à Paris et Marseille, tandis que d’autres villes, comme Toulouse, s’organisent à leur tour pour accueillir des actions symboliques.
À Paris, plusieurs centaines de manifestants se sont retrouvés au Trocadéro, face à l’ambassade du Maroc. Une scène inédite où les slogans de Casablanca et Rabat ont résonné au cœur de la capitale française : « Nous voulons des hôpitaux, pas des stades ! », « Justice sociale ! », « Stop à la corruption ! ». Pour beaucoup, il s’agissait d’un moment historique : la plus grande mobilisation de Marocains résidant à l’étranger depuis des années.
Ces rassemblements traduisent un phénomène nouveau : une génération connectée, consciente et globalisée, qui refuse de se taire. Sur Discord, TikTok ou Telegram, les jeunes de la diaspora reprennent les codes et les méthodes du mouvement d’origine : communication horizontale, absence de leader, diffusion virale des messages. En quelques jours, les appels à manifester ont circulé entre les continents, traduits et adaptés par les communautés marocaines à l’étranger. Le hashtag #GenZ212 unit désormais une jeunesse dispersée géographiquement mais soudée autour des mêmes revendications : dignité, justice et transparence.
Derrière cette mobilisation se cache un malaise ancien : le sentiment d’oubli des MRE. Longtemps célébrés comme une source essentielle de devises – plus de 110 milliards de dirhams transférés chaque année – les Marocains résidant à l’étranger se sentent pourtant marginalisés dès qu’il s’agit de citoyenneté et de participation politique. Ils restent sans représentation directe au Parlement et leurs préoccupations sont rarement prises en compte dans le débat public national. « On nous parle comme d’une manne économique, jamais comme de vrais citoyens », explique Yassine, ingénieur à Paris et organisateur du rassemblement du 04 octobre.
Mais cette fois, la diaspora ne se limite plus à manifester : elle commence à s’organiser. Plusieurs groupes de jeunes MRE ont lancé l’idée de créer des think tanks indépendants, répartis par zones géographiques – Europe, Amérique du Nord, Golfe – afin de formuler des revendications structurées et des pistes de discussion. L’objectif est clair : sortir du simple soutien émotionnel pour devenir un acteur de réflexion politique. Ces groupes, formés d’étudiants, d’entrepreneurs et de chercheurs marocains à l’étranger, entendent produire des propositions concrètes sur les réformes sociales, la gouvernance publique, ou encore la représentation politique des MRE.
« Nous voulons canaliser cette énergie collective », confie Amal, doctorante à Bruxelles et membre d’un collectif en cours de création. « Nous ne sommes pas dans la colère seule : nous voulons contribuer à penser le Maroc de demain. » Plusieurs serveurs Discord et espaces collaboratifs en ligne réunissent déjà des centaines de membres, avec l’ambition d’organiser des débats, de publier des tribunes et, à terme, d’adresser un document de propositions communes au gouvernement marocain.
Ce virage intellectuel du mouvement pourrait être déterminant. Car au-delà de la contestation, il révèle une volonté nouvelle : celle d’un patriotisme actif et critique, qui ne se réduit plus à la nostalgie ni à la contribution économique. La jeunesse marocaine de l’étranger revendique désormais un rôle de partenaire dans la transformation nationale.
Cette dynamique met Rabat face à une équation complexe : comment répondre à une génération qui, même à des milliers de kilomètres, se sent pleinement concernée ? Comment dialoguer avec des citoyens qui ne demandent pas seulement à être écoutés, mais à participer ?
Le Maroc découvre aujourd’hui que sa jeunesse ne vit plus dans les mêmes frontières que son État. Elle s’exprime, s’organise, et réfléchit depuis plusieurs continents. GenZ 212 n’est plus seulement une protestation locale ; c’est désormais un réseau mondial, une conscience collective qui dépasse les barrières géographiques et diplomatiques.
Dans les rues de Paris, Montréal ou Bruxelles, les drapeaux rouges flottent au vent, mais les discours ont changé : la diaspora ne veut plus être spectatrice. Elle veut être force de proposition. Et si, paradoxalement, c’est loin de Rabat que se prépare le débat le plus lucide sur l’avenir du Maroc ?