
Le 9 juillet dernier, Amal El Fallah Seghrouchni, ministre marocaine de la Transition numérique, a annoncé à Reuters le projet de construction d’un data center de 500 mégawatts à Dakhla, intégralement alimenté par des énergies renouvelables. Un projet présenté comme une révolution technologique et énergétique pour le Royaume. Sur le papier, le Maroc s’apprêterait à construire le deuxième plus grand green data center au monde. Dans la réalité, cette déclaration laisse perplexe.
Un tel site dépasserait largement les capacités de China Telecom (150 MW) et se placerait juste derrière le Citadel Campus de Switch, aux États-Unis (650 MW). Sauf que Citadel, c’est dix années de développement, 4 milliards de dollars investis, une surface de près de 670 000 m², et une alimentation par PPA d’électricité verte sécurisés. Rien de tout cela ne semble exister aujourd’hui à Dakhla. Pas de plan, pas de budget, pas de partenaire technologique, ni même de phasage annoncé.
Il faut rappeler que les projets de cette taille — que ce soit la Coupe du Monde 2030, la station Noor à Ouarzazate, ou encore le port de Nador West Med — sont habituellement annoncés et pilotés à l’échelle royale, dans un cadre diplomatique et stratégique assumé, avec des consortiums identifiés, des cahiers des charges clairs, et des feuilles de route publiques. Ce n’est donc pas un détail que ce projet de 500 MW soit lancé directement par une ministre, sans coordination apparente avec les autorités de régulation, ni les opérateurs énergétiques nationaux.
Sur le plan énergétique, l’écart entre l’annonce et la réalité est encore plus flagrant. Le complexe Noor, à Ouarzazate, est souvent cité comme vitrine du savoir-faire marocain. Pourtant, même ce projet, salué dans le monde entier, a nécessité plus de dix ans pour atteindre 580 MW cumulés, répartis entre solaire à concentration et photovoltaïque. Et surtout, Noor ne fournit pas une production continue — une condition pourtant indispensable pour alimenter un data center, qui ne peut tolérer aucune interruption.
Côté éolien, le Maroc dispose de parcs prometteurs : Tarfaya (300 MW), Akhfenir (200 MW), Tanger (140 MW)… Mais là encore, on parle d’infrastructures déployées sur plusieurs années, avec des investissements publics et privés lourds, des raccordements au réseau national et une production sujette aux variations météorologiques. Aucun de ces projets, pris isolément, ne peut garantir aujourd’hui une alimentation stable de 500 MW pour un centre de données.
Et ce n’est pas un détail anecdotique : 500 MW représentent entre 10 et 15 % de la consommation électrique annuelle du Maroc. C’est l’équivalent de l’alimentation d’une ville moyenne. Imaginer qu’un seul site dans le sud du pays puisse concentrer cette demande, sans créer de déséquilibre, sans renforcement massif du réseau, relève d’un pari technologique risqué… ou d’un effet d’annonce.
Le plus inquiétant, c’est que cette initiative semble se faire sans aucun débat public, sans documentation technique ni validation industrielle. Elle intervient alors que le ministère du Numérique peine à livrer des réalisations concrètes, que les startups réclament des politiques de soutien efficaces, que les collectivités attendent des outils numériques fiables, et que l’écosystème digital marocain se bat pour sa crédibilité.
Au lieu de structurer l’existant, la ministre préfère projeter un mirage dans le désert. Ce n’est pas la première fois que Dakhla sert de vitrine politique. Mais à force d’instrumentaliser un territoire stratégique pour des effets de communication, on risque de brouiller le message du Maroc, voire de fragiliser ses efforts en matière de régionalisation, d’intégration africaine et de diplomatie.
Annoncer un data center de 500 MW sans base industrielle, sans détail financier, sans partenaire énergétique ni technologique, revient à faire de la transformation numérique un slogan. À ce niveau, ce n’est plus une ambition. C’est une fiction technocratique.