
La Maison Blanche a été le théâtre, hier, d’un événement diplomatique marquant : le président américain Donald Trump a reçu les dirigeants de cinq pays d’Afrique de l’Ouest – la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée-Bissau, le Liberia et le Gabon. Cette rencontre n’avait rien d’un simple moment protocolaire : elle révèle des mutations stratégiques silencieuses susceptibles de redessiner les équilibres d’influence sur le littoral atlantique africain. Elle ouvre à la fois de nouveaux défis et de nouvelles opportunités, en particulier pour l’Algérie et le Maroc.
L’Algérie, qui s’efforce depuis longtemps de s’imposer comme puissance influente en Afrique, se retrouve une fois de plus en marge d’une des rencontres politiques américano-africaines les plus notables de ces derniers mois. Cette mise à l’écart n’est pas anodine ; elle reflète un changement profond dans la manière dont Washington envisage ses alliances potentielles sur le continent, notamment dans la région du Sahel et du Sahara. Donald Trump, fidèle à sa ligne pragmatique fondée sur les intérêts directs et le gain immédiat, a choisi de nouer des partenariats avec des pays offrant des ressources stratégiques prometteuses, une stabilité politique relative et une ouverture franche à une coopération dénuée d’idéologie.
Dans ce contexte, la Mauritanie s’est retrouvée au cœur du dispositif. Son président, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, a mis en avant son pays comme nouvel acteur stratégique, doté d’un positionnement géoéconomique clé et de ressources naturelles considérables (fer, or, uranium et potentiellement lithium). Plus encore, la Mauritanie s’est présentée comme un corridor commercial fiable reliant les États-Unis à l’Afrique de l’Ouest, à un moment où Washington cherche à sécuriser des approvisionnements alternatifs en ressources stratégiques, loin des sphères d’influence chinoise et russe.
Ce nouveau positionnement de la Mauritanie séduit indéniablement Washington, mais il inquiète fortement Alger. Un rapprochement entre Washington et Nouakchott pourrait redistribuer les cartes de l’influence régionale, affaiblissant l’espoir algérien de maintenir la neutralité mauritanienne sur la question du Sahara. De plus, cela relèguerait au second plan les projets de développement ou d’infrastructures que l’Algérie tente de déployer via le Niger et le Mali, aux yeux de ses nouveaux partenaires potentiels.
L’Algérie mesure désormais que la carte des intérêts dans la région se redessine sans elle. Le temps où elle tirait les ficelles du Sahel à travers des réseaux idéologiques ou des organisations régionales semble révolu. La visite de Trump a symbolisé le lancement d’un nouveau pacte stratégique qui se construit en dehors d’elle, ce que reflète la réaction discrète mais tendue des médias algériens, qui se sont limités à observer, sans prise de position officielle.
À l’inverse, le Maroc apparaît comme le grand gagnant silencieux de cette recomposition, malgré son absence à la rencontre. Depuis des années, Rabat œuvre patiemment à construire des alliances stratégiques en Afrique de l’Ouest, à travers des projets d’intégration logistique transfrontaliers, du port Tanger Med au futur port atlantique de Dakhla, en passant par l’autoroute vers le Sénégal et le mégaprojet de gazoduc nigérian.
La rencontre d’hier à Washington renforce de facto le statut du Maroc en tant que pivot incontournable de toute stratégie afro-américaine d’envergure. Si les États-Unis misent sur les ressources africaines, ils auront besoin d’infrastructures portuaires modernes, sécurisées et capables d’absorber des flux commerciaux massifs. À ce titre, le port de Dakhla, situé à l’extrême sud du Maroc, s’impose comme un atout majeur. Il constitue le point atlantique le plus proche de la Mauritanie, du Sénégal, et même de certains pays d’Afrique centrale, grâce à son intégration à des réseaux routiers transcontinentaux.
Et même si la Mauritanie tente de positionner Nouakchott comme une alternative logistique, l’écart en matière d’infrastructures, de connectivité et d’intégration aux réseaux européens joue clairement en faveur de Dakhla. De plus, grâce à sa stabilité politique et sa position géographique, le Maroc reste le partenaire le plus fiable pour faire le lien entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique.
Sur le plan politique, la présence de Trump à la tête des États-Unis renforce également la position marocaine. Le président américain, qui n’a jamais remis en question la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara, pourrait bien profiter de ce nouveau mandat pour approfondir ses partenariats avec ses alliés les plus loyaux – au premier rang desquels figure le Maroc.
Conclusion stratégique : la visite d’hier à Washington n’était pas un simple rituel diplomatique, mais bien une annonce implicite de nouveaux pactes économiques et géopolitiques en Afrique de l’Ouest. Des alliances qui pourraient bouleverser les règles du jeu régionales.
Dans ce nouveau paysage :
L’Algérie sort perdante, marginalisée malgré ses ambitions sahéliennes.
La Mauritanie joue sa carte américaine pour se repositionner, mais reste tributaire d’un appui logistique qu’elle ne peut trouver qu’à Rabat.
Le Maroc avance discrètement mais sûrement, capitalisant sur les efforts entrepris depuis des années. Le port de Dakhla devient un levier stratégique d’envergure continentale – et bientôt mondiale.
C’est un tournant décisif dans la course à l’influence en Afrique. Le Maroc accélère. L’Algérie regarde.