
Le récent mouvement diplomatique de l’Arabie saoudite au Maghreb a suscité de nombreuses interrogations quant à ses véritables intentions. Entre médiation discrète et repositionnement stratégique, Riyad semble vouloir rejouer un rôle d’équilibriste entre le Maroc et l’Algérie, deux voisins dont les relations demeurent gelées malgré quelques signaux de détente régionale.
Le lundi 6 octobre 2025, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a reçu l’ambassadeur saoudien à Alger, Abdullah bin Nasser Al-Bassiri, porteur d’un message écrit du prince héritier Mohammed ben Salmane. Le lendemain, mardi 7 octobre, le roi Mohammed VI accueillait au palais royal de Casablanca le prince Turki ben Mohammed ben Fahd Al Saoud, ministre d’État et envoyé spécial du roi Salmane et de son héritier, porteur cette fois d’un message verbal adressé au souverain marocain.
Aucune information n’a filtré sur le contenu des deux messages, mais les observateurs notent la différence de traitement entre Rabat et Alger : d’un côté, un ambassadeur porteur d’une lettre écrite ; de l’autre, un ministre d’État en personne mandaté pour délivrer un message oral. Ce contraste, loin d’être anodin, a alimenté les spéculations sur les véritables intentions de Riyad.
Interrogé par Maghreb Intelligence, le diplomate marocain à la retraite Abdelkhalek Aterari explique : « La pratique diplomatique veut que lorsqu’un chef d’État souhaite adresser un message important à un homologue, il mandate un émissaire personnel – ministre, conseiller ou personnalité indépendante – pour remettre un message écrit ou verbal, selon le degré de confidentialité ou d’urgence du sujet. En revanche, lorsqu’un message est transmis via un ambassadeur déjà accrédité, c’est habituellement le ministre des Affaires étrangères du pays hôte qui le reçoit. » Et d’ajouter : « La nature du message est également révélatrice. Une lettre écrite est précise, pesée dans ses formulations, et conserve une valeur de référence diplomatique permanente. Une communication orale, elle, est plus souple, mais aussi plus sujette à interprétation et à oubli, puisqu’elle ne laisse aucune trace formelle. »
Selon Aterari, l’Arabie saoudite aurait donc choisi d’envoyer simultanément deux signaux calibrés, l’un formel et diplomatique à Alger, l’autre plus politique et confidentiel à Rabat. « Il est probable, estime-t-il, que Riyad prépare un message plus large et souhaite éviter tout effet de surprise au moment de son annonce officielle. »
Les images des deux audiences ont également fait couler beaucoup d’encre. À Casablanca, le roi Mohammed VI est apparu souriant et détendu, comme s’il venait d’apprendre une nouvelle favorable. À Alger, en revanche, le président Tebboune, entouré de son directeur de cabinet et de son conseiller diplomatique, affichait des visages fermés et préoccupés. « La différence saute aux yeux », conclut Aterari. « Deux messages, deux styles, deux atmosphères – et peut-être deux lectures d’un même signal venu de Riyad. »