Les islamistes tunisiens du parti interdit Ennahda sont patients et ils le démontrent chaque jour un peu plus. En reconnaissant qu’ils n’étaient pour rien dans la révolution qui a balayé le président déchu Zine El Abidine Ben Ali, ils ont marqué un premier point. Alors que plusieurs observateurs s’attendaient à ce qu’ils sautent sur l’occasion et s’attribuent un mérite qui ne leur revient pas, ils ont été plutôt et à la surprise générale dans la retenue. Il semblerait selon les informations dont nous disposons que le mot d’ordre ait été donné aux militants et aux cadres d’Ennahda aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger, de garder un profil bas. Il s’agit de ne pas effaroucher des Tunisiens qui viennent de recouvrer leur liberté après des dizaines d’années de joug totalitaire. Ainsi, et dans une partition bien jouée, c’est Rached Ghannouchi, guide spirituel des islamistes tunisiens, qui depuis Londres donne le ton
Depuis le déclenchement des événements, il est resté très mesuré dans ses propos, rendant hommage au peuple et autres composantes de l’opposition à Ben Ali. Sa stratégie a un peu changé au lendemain du départ de l’ancien président. Il a vilipendé avec véhémence la prise du pouvoir par le premier ministre. Il a aussi violement critiqué la constitution d’un gouvernement dans lequel participent des ministres de l’ancien parti de Ben Ali. Pendant ce temps-là, alors que la contestation dans la rue commençait à s’essouffler le mardi, c’est Sadak Chourou, fidèle lieutenant de Rached Ghannouchi, qui harangue les foules défilant sur l’avenue Bourguiba contre le maintien du RCD. En agissant de la sorte, Ennahda pousse malicieusement l’UGTT à adopter une position radicale. Le plan des islamistes qui savent qu’ils ont besoin de temps pour reconstituer leurs réseaux laminés par une répression féroce, est tout simple. Laisser les partis et le syndicat s’étriper en public au point de lasser les Tunisiens, tandis qu’Ennahda serait perçu comme « la voie de la raison ». Dans sa stratégie de conquête, le parti islamiste qui commencera tout d’abord par la déposition d’une demande d’autorisation fera fi de la présidentielle. D’après une source bien informée à Londres, Ennahda s’intéresse tout d’abord au Parlement et aux municipalités. Ils savent que c’est là où réside le véritable pouvoir de proximité. Pour ce, les amis de Ghannouchi comptent réactiver l’UGTE (Union Générale Tunisienne des Etudiants) qui constituait dans le temps leur véritable pépinière. Ils comptent également profiter de la liberté de prêche dans les mosquées qui remplacera les anciens prêches officiels. Sur le plan médiatique, Ennahda bénéficie de l’appui total de la chaîne satellitaire Al Hiwar qui émet depuis Londres et qui est totalement acquise à leurs thèses. Le projet de relancer Al Fajr est aussi dans le pipe des dirigeants islamistes. La publication, hebdomadaire avant son interdiction 1991, pourrait rapidement retrouver les kiosques sous un format quotidien.
C’est donc en douceur que les islamistes tunisiens d’Ennhda s’apprêtent à prendre leur revanche sur l’histoire. Leur première vraie rencontre avec le peuple devrait être le retour du Cheikh Rached Ghannouchi de son exil anglais. Des comités ont déjà été constitués afin de préparer ce retour qui devrait donner lieu à une véritable « fête populaire ».