Exclusif. Phosphates : les dessous de la guerre acharnée menée en Afrique par l’Arabie Saoudite et la Russie contre le géant marocain OCP

Le continent africain est promu à devenir le grenier du monde dans les prochaines décennies. C’est donc naturellement qu’il représente aujourd’hui un grand enjeu pour les grands producteurs d’engrais à l’échelle internationale.

Jusqu’à il y a queues années, le mastodonte marocain OCP menait confortablement la danse en Afrique. Mais, depuis quelques années le groupe dirigé depuis 2006 par Mostafa Terrab s’est vu sérieusement grignoter ses parts par d’autres autres géants du monde des phosphates en provenance d’Arabie Saoudite et de la Russie.

Grâce une politique volontariste des groupes de ces deux pays la position dominante d’OCP, notamment en Afrique, sera mise à l’épreuve dans les mois et années à venir.

Les Saoudiens et les Russes en embuscade 

Dans ces sens, la Saudi Arabian Mining Company (Ma’aden) qui s’est lancée dans la production d’engrais en 2011 a renforcé son profil sur les marchés d’Afrique australe et orientale. En 2019, elle a acheté le distributeur d’engrais Africa Meridian Group, basé à Maurice.

Ma’aden a également inauguré un terminal d’engrais au Malawi en 2021 pour expédier ses engrais à travers l’Afrique du Sud-Est. En 2022, le producteur saoudien d’engrais aurait détenu des parts de marché comprises entre 35 % et 65 % au Mozambique, au Zimbabwe, en Zambie et au Malawi. En 2022, le producteur saoudien a annoncé qu’il ouvrirait son siège régional en Afrique du Sud.

Quant aux Russes PhosAgro, Eurochem et Uralchem, ils ont eux aussi étendu leur présence en Afrique. Ainsi, Uralchem a annoncé en 2019 son intention de construire une usine d’engrais de 1,3 milliard de dollars en Angola, qui devrait être achevée en 2023. Alors que PhosAgro a ouvert son bureau régional en Afrique du Sud en 2020 et a élargi son capacité de stockage dans les pays d’Afrique australe orientale.

Mais, malgré une politique d’expansion agressive de la part des Saoudiens et des Russes, l’OCP garde quand même une longueur d’avance en Afrique qui représente l’essentiel de son fief d’OCP où il est présent dans plus de 16 pays.

L’OCP jusque-là leader incontesté en Afrique

En 2019, l’entreprise a signé un accord avec le gouvernement éthiopien pour exploiter cinq usines de mélange d’engrais dans le pays. Deux avaient déjà commencé la production en 2022. L’OCP construit également un complexe d’engrais de 3,7 milliards de dollars à Dire Dawa, en Éthiopie, d’une capacité annuelle de 3,8 millions de tonnes.

Au Nigéria, l’OCP prévoit de mettre en place trois usines de mélange d’engrais, la première a été mise en service dans l’État de Kaduna à la fin de 2022. Deux autres sont actuellement en construction à Sokoto et à Ogun. Le producteur marocain construit également une usine de mélange d’engrais d’une capacité de 100 000 tonnes en Tanzanie, qui devrait ouvrir en 2023 près de Dar es-Salaam. Une autre usine d’une capacité de 100 000 tonnes est en construction au Rwanda, dans le cadre d’un partenariat entre l’OCP, le gouvernement rwandais et la Rwanda Fertilizers Company.

Aujourd’hui, l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), a vu son chiffre d’affaires bondir à un record de 114,57 milliards de Dh (11,034 milliards de dollars) en 2022 soit une augmentation de 43,9 % par rapport aux chiffres de 2021, en grande partie grâce à une flambée des prix mondiaux du phosphate et des engrais qui ont culminé en avril dernier. Avec 70% des réserves mondiales de phosphate, le producteur marocain est l’un des plus grands acteurs mondiaux de l’industrie, engloutissant quelque 31% du commerce mondial des phosphates.  

Le Maroc est le deuxième producteur mondial de roche phosphatée avec une production de 40 millions de tonnes en 2022, selon les estimations de l’United States Geological Survey (USGS).

L’OCP en panne sèche d’ammoniac

Cependant, l’expansion de l’OCP risque d’être freinée par le conflit en Ukraine, lequel lui a été profitable au niveau de la flambée des prix sur le marché international en raison des sanctions infligées à la Russie.  L’entreprise marocaine importe chaque année 1,8 tonne d’ammoniac, un ingrédient clé utilisé dans la production d’engrais, de plusieurs fournisseurs, dont la Russie et l’Ukraine. Mais le début de la guerre en février 2022 a réduit de moitié l’approvisionnement annuel en ammoniac d’OCP.

Il a pu s’en procurer en augmentant les importations en provenance d’autres pays, dont l’Arabie saoudite, l’Égypte, le Qatar et Trinité-et-Tobago. À court terme, OCP prévoit de s’approvisionner en ammoniac aux États-Unis en 2023 et pourra bientôt compter sur son propre approvisionnement en provenance du Nigéria, où son usine d’ammoniac de 1,3 milliard de dollars devrait démarrer la production en 2023.

Cela dit, les phosphates constituent aujourd’hui une importante source de revenus et un formidable outil diplomatique permettant au Maroc de renforcer ses relations politiques et commerciales. Et l’OCP, grâce à son réseau bien établi et diversifié à travers l’Afrique, demeure un fournisseur clé de phosphates sur le continent et dans le monde. Ses usines en projets et qui verront le jour lors des prochaines années compenseront une éventuelle baisse des prix ou une potentielle concurrence acharnée de la part des Russes et des Saoudiens ou d’autres acteurs qui envisagent de faire leur entrée sur le marché international.

 

 

 

 

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