
Tandis que la ville battait au rythme des guembris et des transes nocturnes, à l’ombre d’une médina déjà éveillée par la musique, un autre souffle traversait Essaouira. Celui de la parole, de la réflexion, de la mémoire migrante. Le Forum des Droits Humains, dans le cadre de la 26ᵉ édition du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, s’est imposé comme un moment à part. Deux journées intenses, où les mots ont parfois crié plus fort que les percussions. Thème de cette 12ᵉ édition : Mobilités humaines et dynamiques culturelles.
En présence d’André Azoulay, de Neila Tazi, productrice du Festival, et de Driss El Yazami, président du CCME, les discussions ont esquissé un paysage bien plus vaste que les simples flux migratoires. Il s’agissait ici de faire émerger une autre cartographie du déplacement : celle qui commence par le soi, s’étend au quartier, puis au monde. Une mobilité sensible, intérieure, esthétique, bien plus qu’un simple passage de frontières.
Les intervenants l’ont répété avec justesse : les mobilités humaines ne sont pas des ruptures, mais des fils tendus entre des histoires, des identités, des langues. Elles sont autant de réponses aux crispations identitaires que traversent nos sociétés. « L’écriture elle-même est un acte de mobilité », a-t-on entendu dans la salle, comme un rappel que toute création authentique interroge un mouvement, qu’il soit géographique, intellectuel ou intime.
Plusieurs interventions ont insisté sur la centralité de l’Afrique dans cette dynamique. Les déplacements intra-africains, souvent invisibles dans les représentations globales, sont pourtant parmi les plus complexes, les plus marqués par la contrainte et l’ingéniosité. Mais c’est justement de cette contrainte que naît, parfois, une esthétique nouvelle. Les artistes, écrivains, penseurs deviennent alors les architectes de ponts culturels, réinventant les récits, déjouant les exclusions.
La migration, dans ce cadre, n’est pas un problème à régler, mais une force à comprendre, à accueillir. Le Forum a ainsi mis l’accent sur les apports culturels des diasporas, bien au-delà de leur poids économique : leur capacité à reformuler l’identité collective, à faire tomber les murs symboliques. Il a également rappelé que l’histoire européenne elle-même est traversée de migrations – un fait encore ignoré dans les récits dominants. “Réintégrer l’Européen non-européen au cœur du récit européen” devient alors un impératif politique et culturel.
Il ne s’agissait pas ici de produire une déclaration finale. Mais d’ouvrir un espace. Un espace où penser, écouter, douter aussi. À Essaouira, la circulation des idées a rejoint celle des musiques. Et pendant que les foules vibraient face à l’océan, un autre public, plus discret, prenait part à une transe d’un autre type : celle d’un débat libre, humain, à hauteur d’histoires.
Dans un monde saturé de peur et de repli, le Forum a rappelé qu’il existe encore des lieux où l’on parle de mobilité non pour l’arrêter, mais pour l’habiter. Et dans ce Maroc qui se cherche entre ancrage et ouverture, Essaouira reste, plus que jamais, ce lieu où l’on pense en circulant.