
Alors que le Maroc affiche ses ambitions ferroviaires à travers la LGV et un vaste plan de modernisation du réseau, une décision passée presque inaperçue en dit long sur la vision – ou plutôt l’absence de vision – de ses responsables. L’ONCF s’apprête à mettre aux enchères plusieurs locomotives et voitures voyageurs hors service, garées depuis des années à Casablanca et à Meknès.
Parmi elles, des modèles emblématiques : E 1119, E 1122, E 1202, ZM 01, Z2M 123, DG 216, DL 54… Autant de machines qui ont marqué l’histoire du rail marocain et transporté des générations entières. Mais aucune ne sera préservée. Pas de musée, pas de patrimoine industriel à protéger. Simplement une vente au plus offrant.
Officiellement, l’ONCF explique vouloir se débarrasser de son matériel réformé pour libérer de l’espace et réduire ses charges. Officieusement, cette opération illustre un travers récurrent des entreprises publiques : privilégier la logique comptable au détriment de la mémoire collective. Ce matériel, qui aurait pu constituer le socle d’un musée ferroviaire national, sera cédé comme un simple lot de ferraille.
Le contraste est saisissant. D’un côté, le Maroc investit des milliards de dirhams pour devenir un hub ferroviaire africain. De l’autre, il laisse partir à la casse les témoins de son propre héritage ferroviaire. Un pays qui veut rayonner par ses infrastructures modernes mais refuse de capitaliser sur son passé se prive d’un outil symbolique et culturel puissant.
Dans d’autres pays, la valorisation du patrimoine ferroviaire est une évidence : musées nationaux, trains historiques, circuits touristiques. Le Maroc, lui, s’obstine à ignorer ce levier culturel et économique. La décision de vendre ces locomotives au lieu de les préserver sonne comme une occasion manquée de raconter l’histoire du rail, de ses cheminots et de ses passagers.
Sous la direction de Mohamed Rabie Khlie, l’ONCF poursuit sa stratégie de développement tournée vers l’avenir. Mais en effaçant une partie de la mémoire industrielle du pays au profit d’une logique purement financière, l’Office envoie aussi un signal préoccupant : le Maroc avance vite, mais il avance sans se retourner sur son histoire.