Tribune. Comment le Covid-19 a bousculé l’univers des médias et réseaux sociaux au Maroc

Tribune pour Le Point Afrique

Durant cette crise, un journaliste et une émission de télévision se sont démarqués en particulier. Émission diffusée en direct chaque soir sur la deuxième chaîne marocaine, au sujet du coronavirus. Le journaliste rédacteur en chef prend la parole de façon disruptive, portant à l’écran une nouvelle façon de s’adresser au public marocain. Face caméra, Salaheddine Ghomari parle en darija sur un ton direct, dans un discours sans formalisme, imagé, souvent pédagogique, dans un langage accessible à tous les Marocains. Il interagit sans barrière avec les téléspectateurs en posant leurs questions reçues au sujet de la pandémie, via messageries instantanées, et y apportant des réponses auprès des spécialistes invités sur le plateau. Des ingrédients qui marchent, au vu du franc succès de l’audience de cette émission.

En deuxième partie de soirée, appelée « late night » dans le jargon de la télévision, ce n’est pas devant le petit écran qu’il faut chercher l’audience et l’attention du téléspectateur marocain, mais sur le « deuxième » écran. En effet, les soirées sont très animées sur les médias sociaux. Les stars des social médias font des « live » sur Instagram. C’est un phénomène planétaire, et le Maroc n’est pas en reste. Quand Miley Cyrus, Justin Bieber ou Mohammed Hadid font des directs aux États-Unis avec leurs fans sur leurs comptes Instagram, au Maroc, ce sont des influenceurs, humoristes et stars de la chanson qui drainent les foules, au cours de discussions ludiques, sur un ton convivial et souvent amusant.

Fait notoire au milieu du phénomène des soirées live sur Instagram, le cas d’un transgenre marocain inconnu du grand public jusqu’alors. Habitant en Turquie, Naoufal Moussa alias « Sofia Taloni », bat tous les records d’audience en direct. Il flirte avec les 110 000 viewers pendant les pics de ses directs, à des heures tardives de la soirée (quand Justin Bieber atteint seulement 35 000 au total). Il s’agit là d’une formule inédite où un Marocain transsexuel invite des stars d’Instagram à rejoindre son direct. L’idée est de leur poser des questions gênantes (très) sur leur sexualité et leurs expériences de vie en la matière. Sur un ton complètement libéré, sans tabou et dénué de non-dits, que certains pourraient qualifier d’obscène, Sofia Taloni raconte sa vie la plus intime et commente celle de ses invités, au-delà de toute pudeur.

Toujours sur le second écran, mais à des heures moins tardives, les Marocains ont assisté à une véritable révolution dans la communication des autorités. Le public a ainsi pu découvrir des vidéos sur YouTube, de figures d’agents d’autorité souvent féminines, incarnant la parité dans l’administration marocaine, s’adressant à leurs administrés dans un langage nouveau : fraternel et protecteur, tout en restant ferme et en usant aussi d’humour pour inciter les citoyens à respecter les mesures de confinement. Des vidéos à fort succès, incarnant en images et sur le terrain, le nouveau concept de l’autorité prôné par SM le roi Mohammed VI.

Autre changement dans la communication institutionnelle de l’État marocain, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères est intervenu en qualité d’invité sur un live Instagram à forte audience, diffusé sur le compte de Mustapha Swinga, un influenceur populaire sur la Toile. C’est une première ! Le ministère qui gère la diplomatie du royaume ayant pour règle et tradition de communiquer de façon millimétrée, formelle et officielle, à travers des déclarations et communiqués de presse, choisit d’utiliser les médias sociaux en darija et de rejoindre le direct et ses aléas, pour s’adresser aux citoyens marocains bloqués à l’étranger.

À la fin de cette période très exceptionnelle que nous sommes en train de vivre, nous ne pourrons plus revenir à la télévision d’avant-corona. La télévision post-Covid-19 sera plus que ce fameux deuxième écran. Désormais, nous ne pouvons plus parler de télévision en pensant à l’écran cathodique ou aux téléviseurs HD seulement. La télévision, c’est là où se trouve l’audience. C’est désormais aussi YouTube, Instagram et TikTok. Plus généralement, tout support de diffusion de vidéos sur les médias sociaux doit être considéré comme un prolongement naturel et désormais la base obligatoire de la télévision, si nous ne voulons pas être dépassés.

*Ismaïl Hassani est expert en communication institutionnelle et relations publiques, ancien directeur exécutif de Medi1TV.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *