Relations diplomatiques :Tunis et Tripoli alternent le chaud et le froid

Premier chef d’État à se rendre en terres libyennes pour féliciter le chef du gouvernement de transition, Abdelhamid Dbeibah, au lendemain de son intronisation en mars dernier, Kaïs Saïed se retrouve aujourd’hui au cœur de turbulences diplomatiques entre Tunis et Tripoli.

Quelques mois après sa visite de courtoisie, “historique” pour les dirigeants tripolitains, le ton a changé. Le nouveau chapitre ouvert entre les pays voisins est désormais rythmé par un échange d’hostilités et des tensions croissantes sur fond de menaces terroristes.

Craintes sécuritaires

Fermée en juillet, sur décision du Conseil des ministres libyens pour freiner la propagation du coronavirus, la frontière terrestre entre les deux pays reste à ce jour cadenassée. Tunis oppose une fin de non-recevoir à toute requête de réouverture libyenne, malgré une nette amélioration de la situation épidémique en Tunisie grâce aux multiples journées de vaccination marathon.

Si le ministre tunisien des Affaires étrangères, Othman Jerandi, considère la fermeture des points de passage frontalier comme une démarche purement sanitaire, la réalité est tout autre. Carthage redoute une potentielle infiltration de terroristes sur son territoire depuis la Libye.

Selon certaines révélations médiatiques, une centaine de terroristes seraient présents dans la base militaire Al Watiya en Libye – située à 27 kilomètres à l’Est de la frontière tunisienne – et se tiennent prêts pour entrer en Tunisie dans l’optique de mener des attaques terroristes.

Pendant ce temps, le président tunisien, habitué à envoyer des piques à ses détracteurs, s’est lancé dans une nouvelle diatribe contre les parties qui auraient payé des mercenaires étrangers: “Ils envisagent le meurtre et le bain de sang mais si je meurs aujourd’hui ou bien demain, je mourrai en martyr… Je sais ce qu’ils complotent, je sais ce qu’ils manigancent… Je ne crains pas les combines”, a-t-il affirmé.

Une hypothèse confirmée par le député libyen, Ali Takbali, qui accuse une personnalité politique influente de l’ouest libyen – connue pour ses connexions avec Ankara – d’être impliquée dans le projet d’assassinat du chef d’État tunisien, Kaïs Saïed.

Alors que le ministre libyen de l’Intérieur, Khaled Tijani Mazen, a nié catégoriquement ces charges, le chef du gouvernement libyen de transition, Abdelhamid Dbeibah a décidé de rompre avec le ton diplomatique, soulignant que le terrorisme en Libye était importé de l’étranger et particulièrement des pays voisins.

Émoi diplomatique

La tirade d’une rare dureté entre les dirigeants des deux pays amis a été largement critiquée par les hautes sphères du pouvoir en Tunisie.

Présent lors de la réunion des pays voisins de la Libye, tenue en Algérie, le chef de la diplomatie tunisienne, Othman Jerandi, s’est entretenu avec son homologue libyenne, Nejla Mankouch pour exprimer “l’étonnement de la Tunisie et son refus de telles allégations”.

“La Tunisie est aussi la cible des actes terroristes et ne pourrait jamais être une base d’exportation de terroristes vers la Libye”, a-t-il martelé.

Dans ce contexte, la diplomatie tunisienne demande un calendrier clair et précis pour le retrait des combattants étrangers présents sur le sol libyen afin d’éviter toute menace sécuritaire sérieuse, non seulement sur la Libye et sa transition démocratique, mais aussi sur toute la région.

Depuis, Abdelhamid Dbeibah, essaye de jouer la carte de l’apaisement : “Nos pays souffrent du terrorisme et la Tunisie n’est pas l’exception… Les relations tuniso-libyennes fraternelles ne seront jamais affectées par les fausses allégations… On est et on restera un peuple unique au-delà des frontières”, s’est-il rattrapé.

Concrètement, le nouvel exécutif libyen – né au forceps d’un processus onusien et réputé proche de la Turquie et des Frères musulmans – peine à étendre son pouvoir sur tout le territoire.

Contexte épineux

L’homme fort de l’est libyen, le maréchal Khalifa Haftar, est récemment monté au créneau – à l’occasion du 81e anniversaire des forces armées libyennes – pour avertir que “l’armée ne se pliera jamais à un pouvoir civil non élu par le peuple libyen”.

Un discours fort prononcé en réponse à l’annonce du Conseil présidentiel, dirigé par Mohamed el-Menfi, qui se dit être la seule institution apte à ordonner des opérations militaires en Libye.

Outre la guerre de prérogatives militaires entre Haftar et Tripoli et son influence sur la tenue des élections générales en fin d’année, les autorités libyennes devraient également accélérer le départ de 20 000 mercenaires et combattants étrangers.

Ces individus, lourdement armés, sillonnent encore le pays et inquiètent les principaux acteurs impliqués dans la résolution de la crise libyenne.

Rappelons que la Libye, où Daech s’est implanté après la chute de Kadhafi, a été la salle d’opérations des principales attaques terroristes contre la Tunisie. Des assassinats politiques à l’attaque de la ville de Ben Guerdane en 2016 dans le sud tunisien.

En guerre ouverte contre les dirigeants islamistes avec à leur tête son ennemi, le reis Rached Ghannouchi, le chef de l’Etat tunisien, Kaïs Saïed, craindrait pour sa vie après son coup de force du 25 juillet.

Le professeur de droit constitutionnel, un outsider devenu président malgré lui, avait décidé de suspendre les activités parlementaires et d’éjecter le chef du gouvernement Hichem Mechichi avant de s’accaparer tous les pouvoirs, conformément à sa propre interprétation de l’article 80 de la Constitution.

La visite officielle de Abdelhamid Dbeibah en Tunisie – initialement prévue mercredi 1er septembre, mais finalement reportée à une date ultérieure – serait l’occasion de renouer les contacts diplomatiques de haut niveau et de lever toute ambiguïté entre les dirigeants des pays voisins.

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