Ce 25 juillet, Rached Ghannouchi, maître du parti Ennahda et titulaire du perchoir, est complètement assommé. Le président de la République, Kaïs Saïed a annoncé le limogeage du chef du gouvernement, Hichem Mechichi, geler les travaux du Parlement et lever l’immunité parlementaire sur tous les députés.
Pour mener à bien cette opération, Saïed s’est réuni en urgence avec de hauts cadres sécuritaires et militaires et a justifié sa démarche controversée par le recours à l’article 80 de la Constitution.
Mais que dit la loi ?
Selon l’article susmentionné, “en cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation, la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle, après consultation du Chef du gouvernement et du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la cour constitutionnelle. Il annonce les mesures dans un communiqué au peuple”.
“Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir le retour dans les plus brefs délais à un fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Durant toute cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de réunion permanente. Dans ce cas, le Président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le gouvernement”.
“À tout moment, trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à la demande du Président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente membres de ladite Assemblée, la Cour constitutionnelle est saisie en vue de vérifier si la situation exceptionnelle persiste. La décision de la Cour est prononcée publiquement dans un délai ne dépassant pas quinze jours”.
Cependant, le chef d’État a décidé de suspendre les activités du Parlement pendant 30 jours, démettre le chef du gouvernement de ses fonctions, s’accaparer le pouvoir exécutif et présider le ministère public pour poursuivre en justice tous les députés au cœur des polémiques judiciaires.
Les islamistes, Ennahda et leurs alliés, crient au coup d’État, alors que le président du Parlement a lancé un appel à manifester pour “reprendre le pouvoir” après avoir accusé le président de la République de s’être retourné contre la Constitution, la démocratie et la révolution.
Une légitimité populaire
Quelques minutes après les décisions présidentielles, les Tunisiens ont envahi les villes aux quatre coins du pays pour saluer le courage de Kaïs Saïed et célébrer une délivrance inespérée dans une ambiance euphorique, similaire à celle vécue lors de la chute du régime Ben Ali.
Grand vainqueur du dernier scrutin présidentiel (2019) avec 72,71% des suffrages, le chef d’État a choisi un timing parfait pour prendre de court ses détracteurs et réussir son coup.
En effet, des milliers de Tunisiens se sont mobilisés dans la journée – à l’occasion du 64 anniversaire de la République – pour contester le règne chaotique des islamistes.
Au Bardo, le message est catégorique : le peuple réclame la dissolution immédiate du Parlement. À Nabeul, Sousse, Sfax, Monastir ou encore au Kairouan, Sidi Bouzid et Gafsa, les manifestants se sont attaqués sans retenue aux locaux du parti dirigé par l’icône religieuse, Rached Ghannouchi.
Une colère populaire ravivée par les récentes sorties des islamistes qui exigent 3 000 millions de dinars pour “les victimes de la dictature”, alors que la Tunisie traverse une crise sans précédent.
La troisième République en marche
Dépassé par les événements, le titulaire du perchoir, Rached Ghannouchi, accompagné par les membres de sa coalition parlementaire, s’est vu refuser l’accès à l’Assemblée par les militaires. Le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a, quant à lui, disparu des radars ces dernières heures.
Pendant ce temps, le président de la République s’est offert un énième bain de foule à l’avenue Habib Bourguiba. Le pensionnaire de Carthage semble plus que jamais déterminé à en finir avec le système politique actuel pour sortir le pays de la crise et envisager des réformes générales.
“Aucune personne ne sera arrêtée de manière arbitraire, les réseaux de télécommunication ne seront pas suspendus et la liberté de manifester pacifiquement sera respectée », confie l’entourage du chef d’État à Maghreb Intelligence.
Une série de réunions aura lieu dans les heures à venir entre le président Saïed et les représentants des organisations nationales et des partis politiques pour discuter du nouveau régime politique et du nouveau mode de scrutin avant de passer au référendum.
Adeptes des diatribes éphémères, le président de la République est, enfin, passé à l’action pour initier des réformes fondamentales, amender des articles de la Constitution et acter l’avènement de la troisième République. Que ferait Ennahda pour contrarier ses plans ? Affaire à suivre…