Alors que beaucoup imaginaient un ralliement du royaume du Maroc à l’axe Riyad – Abou Dhabi – Le Caire contre le Qatar, la position de Rabat, neutre et mesurée, a déjoué tous les pronostics. La décision marocaine, qui a souhaité laisser la place aux contacts informels afin de dépasser la crise, a pris en considération les réalités régionales et les principes du droit international.
Avant que le ministère marocain des Affaires étrangères ne publie un communiqué au sujet de cette crise, les autorités de Rabat ont tenu à en informer les principaux dirigeants des pays du Golfe dans les moindres détails. Personne dans la région n’a donc pu être surpris par la position marocaine. La surprise vient en revanche de l’annonce dans ce communiqué d’une tentative de médiation menée par le royaume chérifien, « à la demande insistante du Koweït » croit savoir une source diplomatique française de haut rang.
Un communiqué qui a fortement mécontenté les dirigeants saoudiens et émiratis, lesquels ne doutaient pas d’un alignement de Rabat sur leurs positions, et qui se sont empressé de le faire savoir au Palais royal, avec lequel des canaux de communication existent à tous les niveaux. D’où la publication d’un second communiqué du ministère marocain des Affaires étrangères, plus explicite, rappelant l’historique des relations du Maroc avec «ses pays frères du Golfe».
Pourquoi donc alors le Maroc a-t-il obstinément décidé de ne pas s’engager contre le Qatar ? Fidèle à la position du roi Hassan II qui s’était publiquement indigné du putsch mené par l’émir Hamad Ben Khalifa contre son père en 1995, Rabat refuse catégoriquement tout changement de pouvoir par la force à Doha. Une aventure qui «placerait tous les régimes de la région en péril, et ouvrirait une période d’incertitude pour les Etats du Golfe », assure la diplomatie marocaine.
Par ailleurs, le Palais royal n’a pas du tout apprécié la manière dont le Maroc a été considéré lors du récent sommet entre les Etats-Unis et les pays du Conseil de coopération du golfe. «Si les pays du CCG estiment que nous sommes des partenaires stratégiques et spéciaux, il doivent nous considérer, ainsi que la Jordanie, comme membres à part entière et non comme des invités de dernière minute », tempête un ancien ministre marocain. Lors de ce sommet, le roi Mohammed VI s’était contenté de se faire représenter par son seul ministre des Affaires étrangères, alors que pour ce genre de sommet, il a coutume d’envoyer son frère Moulay Rachid ou le chef de son gouvernement.
D’autres dossiers expliquent le froid actuel dans les relations entre Rabat d’un côté, Riyad, Abou Dhabi et Manama de l’autre. Le Maroc plaiderait notamment en faveur d’un arrêt immédiat de l’absurde et sanglante guerre au Yémen, ainsi que de la constitution d’une commission restreinte des chefs d’Etat sur le modèle de la tripartite arabe qui avait préparé les accords inter-libanais de Taëf en 1989. Un plaidoyer en faveur duquel l’actuel homme de fort de Riyad, Mohamed Bin Salmane, ne veut pas entendre parler.